Avec le Covid-19, vers une réduction de l'offre et une hausse des cours du blé ?

Alors que le cours du blé a débuté son retournement le mardi 17 mars, soit le jour d'entrée en confinement de la France par rapport au Covid-19, un pays qui produit 36/38 Mt de blé en moyenne et qui en exporte les deux tiers, penchons-nous sur les fondamentaux qui peuvent expliquer une telle envolée des cours du blé (+ 12 %) en seulement un peu plus d'une semaine.

Tout d'abord, nous tenons à préciser qu'il n'y a aucune raison d'avoir une hausse des cours du blé des deux côté de l'Atlantique au regard des données de l'USDA qui estime les stocks mondiaux à fin de campagne 2019/2020 à un total record de 287 Mt, soit 38 % de la consommation mondiale sur une année, soit 4 mois et demi de stocks.

Mais alors, pourquoi une telle ruée sur les cours du blé en l'espace d'un peu plus d'une semaine ?

Il faut dire que la hausse a été brutale tout d'abord sur le marché parisien, avec une hausse la journée de mercredi 18/03 de 2,7% et de 2,9% la journée du jeudi 19/03. Et du côté de Chicago, c'est avec une journée de retard par rapport à la place parisienne que le cours du wheat a bondi de 5,3% le jeudi 19/03, rattrappant ainsi quasi tout son retard sur son homologue européen. Et rebelotte le lundi 23 mars, avec un bond de près de 4,5% pour le cours du wheat.

De fait, avec cette accélération haussière du cours du wheat, passant en l'espace de moins de 2 semaines de 4,98 $ le boisseau à la clôture du lundi 16 mars, aux 5,86 $ le boisseau le vendredi après-midi 27/03, c'est tout bonnement une hausse de plus de 17,50% que l'on constate.

On assiste donc à une situation hubesque, d'autant plus que les Etats-Unis sont en retard sur le plan des exports de blé par rapport à l'objectif fixé par l'USDA avec les 27,2 Mt et les stocks de fins de 25,6 Mt.

De son côté, l'Europe est dans le bon timing pour exporter un total de 32 Mt de blé, avec un volume de 23,2 Mt déjà exporté en date du 20/03, soit une hausse de près de 72 % sur un an. Il reste un peu plus d'un trimestre pour exporter le solde, soit 38 % d'un objectif très élevé et à la base quasi inatégniable..

De plus, la Chine détiendrait un stock de plus de 148 Mt de blé, soit plus de 51,50% des stocks mondiaux de blé.

A moins que les récents achats de blé de la Chine à l'Europe (près d'1 Mt) et les derniers achats de blé américains à la Chine (0,2 Mt sur la semaine écoulée), démontrent que les stocks chinois sont avant tout des stocks politiques. La question mérite d'être posée.

De plus avec le confinement de plus en plus de population suite à la crise mondiale sanitaire du coronavirus, et le risque d'une limitation d'accès aux zones portuaires exportatrices, on assiste à un balais de commandes record en blé, étant vu comme des achats de précaution en temps de guerre sanitaire. Donc au même titre que la population s'est ruée sur les rayons alimentaires des grandes surfaces avant le confinement, il se pourrait bien que les pays importateurs fassent des stocks de réserves, afin d'éviter de subir une nouvelle fois les émeutes de la faim de 2007/2008.

Dans ce cadre, ce serait donc bien un mouvement irrationnel de peur qui s'empare du marché des céréales, autoalimenté tout de même par une problématique de logistique qui fait de plus en plus défaut, aussi bien sur le plan du transport routier, que du transport ferroviaire, où la baisse d'activité s'explique par le nombre de personne en activité qui diminue suite à la peur du Covid-19 et des personnes en détresse respiratoire.

Et pour ne rien arranger, voilà que la Russie remet sur le devant de la scène la possible limitation de délivrance des certificats à l'export de blé, qui reviendrait de facto à annoncer un contingentement des exports de blé, interprété par le marché comme un début de fermeture de certaines zones portuaires.

Il faut dire que le Kazakhstan, pays voisin et exportateur de blé, vient de cesser les envois de farine à l'international, donnant un signe supplémentaire de tension sur le marché de blé. L'Ukraine, ne bougeant pas pour l'heure, mais ayant déjà exporté une grande partie de ses stocks de blé.

Analyse technique cours du Blé Euronext Hebdo le 27 03 2020

Mais au fait, pourquoi les cours du maïs ne suivent pas ?

Pour deux raisons apparentes, le maïs a une destination plutôt industrielle, et notamment pour la production d'éthanol aux Etats-Unis, dont cette dernière est en souffrance suite à l'écroulement des cours du pétrole ayant entraîné dans son sillage les cours de l'éthanol à un plancher jamais atteint. Et la seconde étant le fait qu'une grande partie de ce maïs arrive maintenant sur les zones portuaires en Europe pour se déverser sur un marché de l'aliment du bétail, déjà encombré.

Et de l'autre côté, les cours des oléagineux qui après être revenus rapidement sur leurs points bas respectifs, du fait d'un décrochage violent des cours du pétrole, se reprennent, là aussi sur la base des fondamentaux, notamment du fait d'une limitation implicite de l'export des tourteaux de soja de la part de l'Argentine, premier exportateur mondial pour cette matière première, à cause de la mise en place de la quarantaine vis-à-vis du coronavirus. On assiste donc à un mouvement de rebond dans une phase baissière.

Au final, c'est la peur de manquer de nourriture qui semble inciter l'ensemble des intervenants (consommateurs, industriels, acheteurs, importateurs) à mettre la main sur certaines matières premières agricoles, dont le blé est la première céréale à être touchée, du fait que cette dernière représente l'aliment de base pour une grande majorité de la population mondiale au travers du pain et des pâtes. De plus, le souvenir douloureux des émeutes de la faim de 2008/2009, poussent les pays importateurs à faire des réserves stratégiques, même si le niveau de stocks mondiaux est très élevé sur le papier. Reste à savoir si ce stock pléthorique de blé existe-t-il réellement, lorsque l'on reprend les écrits de Jean Pierre BORIS, dans son livre "Traders, vrais maîtres du monde : enquête sur le marché des matières premières" (édition Tallandier, Février 2017), où page 41 de cet ouvrage est écrit : " Par ailleurs, le niveau des réserves mondiales tel que l'établissent les organismes internationaux (FAO, CIC) est sujet à caution. Certains pays producteurs, en premier lieu la Chine, livrent souvent des données fantaisistes."

Pourrions-nous de fait en conclure, que la hausse des cours du blé ayant débuté le jour du confinement de la France, soit le 17/03/20, pays produisant 36/38 Mt de blé et en exportant les deux tiers, avec une logistique qui ralentit, ait poussé les agents financiers à faire progresser les cours du blé, car la demande étant d'un seul coup soutenue, les réserves sur le papier ayant du mal à se retrouver sur le terrain, provoquant ainsi une hausse mécanique des cours.

C'est une hypothèse plausible, d'autant plus que l'équipe d'AgriTechTrade ayant développé pendant deux années durant (2018 et 2019 des modèles mathématiques financiers), a pu prévenir dès le mardi début d'après-midi, quelques professionnels du monde agricole d'un retournement de marché à venir, en indiquant les cibles suivantes sur la base d'un cours à 177,50 €/t échéance Mai 2020 : les 184/185 €/t et les 194/195 €/t à un horizon de court terme. Cibles qui ont été atteintes à la vitesse de la lumière, soit en moins d'une semaine !

Ce qui pour conclure, indiquerait que la finance ayant toujours un temps d'avance sur le monde classique agricole, a pris en compte des facteurs qui ne sont pas connus du grand public, alors que tous les officiels n'arrêtent pas de crier sur les toits que les fondamentaux sont solides, avec des stocks mondiaux très élevés, et une future récolte mondiale abondante, notamment au regard des derniers chiffres du Conseil International des Céréales (CIC) avec un record de 768 Mt de blé sur la campagne 2020/2021, soit une hausse de 5 Mt sur un an. Cela est peut-être aller un peu vite en besogne, alors que les surfaces de blé sont en baisse en Europe et aux Etats-Unis pour la récolte 2020, et que le manque d'humidité des sols apparaît sur une partie de la zone mer Noire.

Vous avez dit : vers une tension de l'offre ?

 

Cours du Wheat Mai20 ce 27 03 2020

 


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